Zoom sur le présent vertigineux, le Forum Vertigo propose une série de rencontres internationales entre scientifiques et artistes, ingénieurs et intellectuels. Après trois éditions consacrées aux usages artistiques de la 3D, du code ou encore du vivant, le Forum Vertigo interroge cette année les multiples liens entre intelligence artificielle et création contemporaine, à l’occasion de l’exposition « Neurones, les intelligences simulées ».
Directeur de l’innovation de l’Ircam et programmateur des rencontres, Hugues Vinet nous explique en quoi l’intelligence artificielle révolutionne les pratiques artistiques dans leur rapport à la technologie.
Hugues Vinet, vous consacrez cette 4e édition du Forum Vertigo à l’intelligence artificielle. Pouvez-vous nous en dire plus sur les enjeux de ces rencontres ?
Les technologies de l’intelligence artificielle ont connu des avancées fulgurantes au cours des dernières années avec les réseaux de neurones profonds, porteurs d’une rupture paradigmatique radicale dans le traitement d’informations numériques entre les approches usuelles par modélisation et celles par analyse de données massives surpassant ces dernières dans beaucoup de domaines. Nous commençons à en entrevoir le grand potentiel pour la création artistique : procédés de génération et d’hybridation de contenus totalement nouveaux, production d’artefacts dotés de comportements autonomes, etc. Au-delà du renouvellement des formes et matériaux pour la création, le déploiement des techniques d’intelligence artificielle à grande échelle dans la société – gestion de données personnelles, reconnaissance de visages et d’objets, conduite autonome – induisent également des positionnements critiques dans le champ artistique. Ces rencontres associent artistes et chercheurs parmi les plus en pointe sur ces sujets pour présenter l’état de l’art de leurs travaux et débattre des enjeux de cette révolution en marche.
Les ordinateurs pourront-ils devenir créatifs et parvenir ainsi à remplacer les artistes ou est-ce un pur fantasme ?
Nous en sommes loin et une approche possible de distinction entre les possibilités de la machine et de l’humain se situe entre les notions de générativité et de créativité : il y a effectivement un accroissement potentiellement considérable du pouvoir génératif des machines à la mesure de l’étendue des corpus d’apprentissage utilisés, mais in fine celles-ci restent configurées par l’homme. L’enjeu pour les artistes, comme cela l’a toujours été dans l’histoire des techniques, est donc de s’approprier ces méthodes radicalement nouvelles au service de leur expression : faire œuvre relève d’un acte créateur irréductible à la machine.
Une dernière question plus prospective pour conclure : quelles sont les perspectives les plus prometteuses de la recherche scientifique en IA et en particulier pour les arts ?
Pour revenir sur la comparaison entre modélisation et analyse de données que je mentionnais au début, la situation actuelle est que nous avons une compréhension encore limitée des représentations du monde propres aux réseaux profonds : ce sont des boîtes noires qui produisent des artefacts tout à fait étonnants sans qu’on puisse vraiment en assimiler la logique à nos catégories cognitives. Mieux comprendre ces représentations, en formaliser des théories et les rendre accessibles à des non informaticiens et en particulier aux artistes pose des problèmes scientifiques et technologiques passionnants.